Notre rythme s’installe doucement mais sûrement dans cette maison où je me sens de plus en plus à ma place. Cass’ évidemment n’oublie pas la promesse qu’elle m’a faite lorsque je lui ai demandé de m’enfermer si jamais je mettais ma mère ou Noam en danger, mais n’a pas eu besoin jusqu’à présent de l’honorer. Je sens que ma confiance en moi s’améliore, même si j’ai encore quelques moments de doute.

Cass’ sait toujours reconnaitre les moments où je me sens fébrile et où j’ai besoin qu’on me rappelle que tout va bien. Les entrainements quotidiens servent à ça, aussi.

Evidemment, tout ne va pas bien. Ma mère est en sécurité oui, Noam aussi. Mathieu, Sam et Maria le sont également, mais nous n’avons plus aucun contact avec eux et ça me rend triste… C’est juste horrible de me dire qu’on les a laissés là-bas sans aucun moyen de les prévenir qu’on va bien. Je sais que maman se sent coupable de tout ça, parce qu’on a eu le malheur de se trouver chez eux au mauvais moment… Elle ne le dit pas, bien sûr, mais grâce à mes récents pouvoirs je le ressens comme si c’était mon propre ressenti, et c’est difficile à supporter… Je ne ressens plus la fatigue en étant vampire, mais ressentir tout ça est usant…

La pauvre a un sentiment de culpabilité tellement énorme pour tout ce qu’il s’est passé, alors qu’elle n’a pas demandé à naitre et surtout à être conçue de cette façon. J’ai une pensée pour ma grand-mère, qui n’en a jamais rien su, mais peut-être que c’était pour le mieux. Je n’ai que peu de souvenirs d’elle, mais j’imagine qu’elle l’aurait mal vécu si elle avait su à quoi elle était liée malgré elle…

Et savoir mon père et mon frère à la merci de Straud ça nous fend le cœur à toutes les deux… Tout comme savoir Séraphine dans le même état…

Puis il y a Mélanie, aussi. Je n’ai pas eu le courage d’aller la voir de mes propres yeux depuis ce jour, dans la forêt… Mais quand je suis dans sa tête, je ne ressens absolument rien, il n’y a que du néant, et je sais que la voir renforcera ma douleur, mais peut-être que si elle ressentait que j’étais à ses côtés, elle sortirait de cet état ?

Je prends mon courage à deux mains pour entrer dans la pièce où elle semble endormie depuis que Straud l’a mordue… Pourquoi elle, et pourquoi pas moi… ? Pourquoi c’est elle qui se retrouve dans cet état ? Elle ne le mérite pas… Elle a juste agi en son âme et conscience, pensant que toute cette histoire n’était que du flan…

- Oh Mélanie, si seulement tu étais là… Réveille-toi Mélanie, s’il te plait…

Mais bien sûr, il n’y a aucune réaction de sa part…

Et si je ne lui en avais jamais parlé, nous n’en serions pas là…

Je dois trouver un moyen de la sauver. Un moyen de sauver tout le monde. En attendant, j’ai grand besoin de m’évader. L’orgue est ma nouvelle passion, la plus apaisante qui soit. La tension redescend tellement vite dès que mes doigts se posent sur les touches.

Quand je me relève, j’aperçois Noam dans le canapé, semblant réfléchir.
- Tu vas bien Noam ?

- Je… Oh, oui, ça va. Je pensais à ma famille, c’est tout.
- Oh… si tu savais à quel point je suis triste pour tout ce qui arrive, ça me fend le cœur que ta famille ait été impliquée dans cette histoire alors que vous meniez une petite vie tranquille…
- Viens, assieds-toi.

Je n’osais pas m’approcher trop de lui, parce que j’ai toujours cette appréhension de lui faire du mal, mais il ne semble pas avoir peur et je me sens de plus en plus capable de me maitriser en cas de problème. Et Cassandra n’est jamais trop loin de toute façon. Alors je fais ce qu’il me dit.

- On s’est retrouvé là-dedans et c’est comme ça. J’aurais pu en vouloir à ta mère, à ton père, mais à quoi bon ? Tu sais, je m’en suis longtemps voulu de m’en être sorti alors que ma mère est restée coincée là-bas, que ton frère et ton père le sont aussi. Je n’ai rien fait pour essayer de les sauver, non, j’ai fui, parce que je voulais m’en sortir. Ta mère m’a interdit de penser que je suis un lâche. Et elle a raison... Tout ce qui est arrivé, c’est fait maintenant. Mais je n’en veux à personne d’autre qu’à moi.
- Le sentiment de culpabilité du survivant, même si bien sûr ils ne sont pas morts… Tu te demandes pourquoi eux sont là-bas et pourquoi pas toi ? Je ne pourrais pas mieux te comprendre, parce que je ressens la même chose avec Mélanie. Pourquoi elle est dans cet état et pas moi ? C’est injuste.

- Ouais, c’est exactement ça. Le sentiment qu’on ne mérite pas d’être là en sécurité et en pleine forme alors que d’autres n’ont pas eu cette chance…
- On va devoir travailler là-dessus, hein ?
- Je crois bien, oui !

- En tout cas, même si je pense fort à ceux qui ne sont pas là avec nous, je suis contente que tu sois là.
- Pour ce que ça vaut, je suis content de t’avoir retrouvée aussi. Tu m’avais manqué, tu sais. On s’entendait bien quand on était gosses… ça parait tellement loin aujourd’hui…
- C’est vrai…

Je repense à ce que m’avait dit Maria à propos de Noam et au fait qu’on semblait très proches tous les deux, et que s’il y avait eu possibilité, on aurait probablement fini ensemble... Mais aujourd’hui, tout est différent. Même si je l’ai peut-être imaginé une seconde, c’est inenvisageable désormais !
Puis même si je lui plaisais à l’époque, les choses ont bien changé depuis. Comment pourrait-il aimer une vampire ? De toute façon, c’est impossible pour moi d’avoir une relation amoureuse, avec qui que ce soit d’ailleurs. J’ai bien autre chose en tête que de penser à ça pour le moment.

Je n’ai pas le lien avec Noam puisqu’il n’est pas de ma famille. Mais je sais que sa famille lui manque, alors j'essaie de lui parler des bons moments.
- Ton père a beaucoup aidé ma mère à aller mieux tu sais. C’est grâce à lui qu’elle a fini par retrouver le sourire, parce qu’ils sont amis depuis presque toujours, et que les années n’ont rien changé à ça. Il a été un pilier pour elle, vraiment.
- Ca me fait plaisir d’entendre ça.
- Ton père est vraiment génial. Sinon, Maria adore la guitare, on faisait tout le temps des duos toutes les deux, quand on était « là-bas »… Et Sam est un grand sportif comme ton père. On s’occupait comme on pouvait, on jouait au ping-pong, au poker, à ne réveillez pas le lama… Je sais qu’ils te manquent, et si je ne peux pas faire grand-chose pour changer cela, je peux au moins te parler de nos moments passés ensemble. On avait trouvé notre petit rythme, et c’était pas si mal !
- C’est gentil de me parler d'eux, Lola, ça me touche.

J’hésite à lui parler de la relation entre Sam et Mélanie, mais je ne préfère pas, la façon dont elle s’est terminée et l’état dans lequel cela a mis son frère, cela lui ferait plus de mal que nécessaire… la situation est déjà assez difficile comme ça, je n’ai pas besoin d’en rajouter, pas pour le moment en tout cas…

- Ils me manquent, mais au moins ils sont en sécurité. On les retrouvera Noam, j’y crois très fort.
- Et j’y crois aussi. Je te fais confiance à 100%, et je sais que tu feras le maximum pour qu’on retrouve tous une vie « normale ».

Il n’a peut-être pas de pouvoirs, mais il me donne une force tellement grande en m’accordant sa confiance, je suis tellement heureuse de l'avoir à mes côtés, ça m'aide énormément.