Lola

 

Non mais c’est quoi cette vie, franchement ? On est au milieu de nulle part, sans vraiment comprendre pourquoi on a dû se planquer ici et pourquoi on a embarqué Mathieu, Sam et Maria avec nous.

Enfin je veux dire, je sais que maman s’est foutue dans des histoires pas possibles, sans trop en connaitre les détails, mais Mathieu ? Il n’a rien fait pour mériter qu’on lui enlève Séra et Noam… Rien fait pour qu'on le pousse à mettre son ancienne vie de côté pour venir s'enterrer au fin fond de la forêt...

Nous non plus, avec Mélanie, on n’a pas mérité de nous enlever papa et Malo… Mais c’est à cause de maman tout ça. On était heureux nous.

Mais au final, quitte à être exilé dans cette forêt, je suis contente qu’ils soient avec nous. Parce que juste avec maman ça aurait été très dur. Je veux dire, on ne se parle plus. Mélanie et moi on ne sait pas quoi lui dire, et je crois que Mélanie lui en veut encore plus que moi.

 

J’aimerais comprendre, parce que c’est pas normal toute cette histoire. C’est vrai quoi, je me souviens d’une maman géniale, quand on était petites. Et puis d’un coup, tout a changé, elle est devenue… invisible. On n’était pas malheureux tous les trois avec Malo, parce qu’on avait papa, et on s’amusait bien.

 

 

Il jouait souvent avec nous, mais je savais qu’il était malheureux. Il ne nous le montrait pas, parce qu’il avait sa fierté, et il ne voulait pas nous rendre triste, je pense, mais plusieurs fois je l’ai vu pleurer dans sa chambre, puis il avait souvent cet air triste. Ça veut dire que maman et lui bossaient sur quelque chose d’important, de dangereux j’imagine.

 

Le truc, c’est que maman s’est oubliée dans son travail, alors que papa ne nous a jamais mis de côté. Alors oui, on allait souvent chez Mathieu quand ils partaient tous les deux en mission mais une fois qu’ils rentraient, papa était là, lui, au moins.

On avait quand même une certaine éducation, parce que papa nous faisait faire les devoirs dès qu’il pouvait, et il nous encourageait dans nos passions respectives.

 

 

 

Et puis grâce à lui, on sait cuisiner aussi. Et tant mieux parce que maman n’est pas douée du tout devant les fourneaux. Et Mathieu c’est pas mieux, c’est Séra qui faisait la bouffe chez eux, puis ça n’intéresse pas du tout les triplés. Alors avec Mélanie, on s’occupe de ça, maintenant. A vrai dire, je n’aime pas spécialement faire à manger, parce que ça me rappelle quand on le faisait avec papa et ça me rend triste, mais ça plait bien à Mélanie.

 

 

On n’a pas eu une enfance malheureuse, malgré tout. Quand papa et maman partaient tous les deux, on s’amusait bien avec les triplés chez Mathieu et Séra. On avait toujours des occupations et on n’avait jamais le temps de s’ennuyer.

 

 

 

 

Mais même si on passait de bons moments, je savais qu’on ne menait pas une vie normale, et je voyais bien que mon grand frère en souffrait beaucoup. Je crois que le jour où je m’en suis le plus rendue compte, c’est celui où on a fêté son anniversaire chez Mathieu et Séra, sans papa et maman du coup.

On s’amusait bien, mais je voyais bien qu’il était triste. J’avais essayé de lui remonter le moral en lui disant qu’on avait quand même de la chance parce qu’on était tous les trois ensembles, lui, Mélanie et moi. On se serrait les coudes, on savait ce que c’était de vivre avec des parents qui partaient souvent en mission. Mais je crois que maman lui manquait beaucoup.

 

 

 

Alors quand elle est revenue sans papa, ça a été la goutte de trop. Maintenant, Malo a disparu lui aussi et on ne sait rien de cette histoire. On sait juste qu’ils ont été soi-disant enlevés par un groupe de personnes malveillantes, mais qui nous dit qu’ils ne sont pas morts ?

Maman ne nous dit rien de plus, et si on veut en savoir plus il faut lui parler, chose qui est difficile voire impossible ces derniers temps… Puis est-ce qu'elle voudrait bien nous le dire, en fait ? Evidemment on vit tous sous le même toit, dans une maison minuscule donc c’est compliqué de ne jamais se croiser mais si on peut éviter de lui parler ça nous arrange quand même pas mal.

 

Puis en réalité, je crois que je suis la plus chanceuse puisque ma chambre n’est même pas dans la maison. C’est pratique d’avoir cet abri de jardin qui a pu être aménagé comme on le voulait.
J’ai beau me plaindre de maman, et de ses amis qui nous ont amené ici, mais je dois bien l’avouer, ils ont quand même bien géré, parce qu’on a tous des chambres qui nous correspondent. Mais ça, je ne le dirais jamais à maman, je ne veux pas qu’elle sache qu’on n’est pas si malheureux, ici.

 

Bien sûr, on est tristes, parce que papa et Malo nous manquent, parce que Séra et Noam nous manquent énormément eux aussi, et j’ai l’impression que c’est insurmontable parfois, d’avoir perdu autant de proches en si peu de temps.

J’entends parfois maman dire qu’elle garde espoir et qu’elle les pense toujours en vie, mais je n’ai pas envie de m’accrocher à ce fil qui semble si fragile. Alors je préfère me dire qu’ils sont morts, et qu’au moins ils ne souffrent pas, même si ça veut dire que nous sommes ceux qui souffrons à leur place.

Aujourd’hui, sa vie se résume à lire des bouquins d’éducation (ça sert à quoi, d’ailleurs, c’était avant qu’on avait besoin d’elle…), à faire du yoga ou se défouler sur le machin d’entrainement, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. A pleurer aussi, souvent…

 

 

 

Je sais qu’elle est triste, et je lui en veux de nous avoir laissé tomber. Essaie-t-elle vraiment de se racheter ? D’être notre maman à nouveau ? Malheureusement elle ne pourra jamais rattraper toutes ces années où elle était absente…