Je suis dans un état d’esprit particulier. Je me sens bien avec Eli, un peu comme sur un petit nuage. Cela dure depuis plusieurs semaines maintenant, mais je ne sais pas si cela peut évoluer vers une relation sérieuse, par rapport à notre travail notamment. Je ne sais pas vraiment ce que j’ai le droit de faire ou ne pas faire et je préfère ne pas aborder le sujet avec lui pour le moment.
Je n’ose pas encore en parler à maman, ou à Mathieu, avec qui je communique aussi souvent que mon emploi du temps me le permet, grâce à Skype.

Ses études se passent bien, il a validé pas mal de cours et son diplôme est en bonne voie. Mais surtout, il a rencontré quelqu’un. Une jeune femme brillante, qui espère devenir professeur des écoles.
Mathieu l’a rencontrée sur le campus, par hasard, et sont tombés amoureux très vite.

Je suis très heureuse pour lui, mais j’éprouve une pointe de tristesse en apprenant cette nouvelle : j’aurais aimé rencontrer celle qui partagera sûrement la vie de mon meilleur ami, j’aurais aimé faire encore partie de sa vie de tous les jours, comme avant.
C’est indéniable, il me manque terriblement. J’aurais aimé lui dire aussi que je suis avec quelqu’un. Mais comment lui dire une chose pareille alors que je ne suis même pas sûre de pouvoir vivre une vie de famille ?

En attendant, Eli et moi apprenons à nous connaitre. Après tout, c’est mon partenaire dans mes missions et même si je pense que notre travail rend une relation amoureuse au grand jour impossible, je vais quand même passer toute ma vie professionnelle avec lui. Je ne sais pas si je peux en parler à l’agent Fournier, je ne sais pas comment elle réagirait de nous savoir ensemble dans une relation amoureuse, si c'est autorisé...
Enfin, amoureuse, j’en sais rien. Je ne m’autorise pas à aimer Eli, parce que je ne sais pas si j’en ai le droit. Et je ne connais pas ses sentiments envers moi non plus.

Mais au bureau, aujourd’hui, je n’ai pas eu le courage de me confronter à l’agent Fournier et de lui poser ce genre de questions. Notre relation restera donc secrète, pour le moment. Je ne sais de toute façon pas où nous allons. En tout cas, on s’amuse, on prend du plaisir et cela fait du bien après des journées comme les nôtres.

On se retrouve parfois chez moi, parfois chez lui. Souvent, je trouve le prétexte de venir lui parler de notre prochaine mission, mais nous savons très bien, lui comme moi, que ce n’est pas la principale raison de ma venue.

 

Nos jours de repos ne sont pas si reposants que cela, en fin de compte. Je ne sais pas si c’est bien raisonnable. Mais c’est si agréable. Eli, c’est ma bouffée d’air frais, finalement.

 

Son appartement est doté d’une pièce avec un jacuzzi, il semblait évident que nous ne pouvions pas passer à côté de ça !

 

 

Non, vraiment, nous nous entendons très bien, Eli et moi. Et ce n’est pas seulement pour les plaisirs charnels, l’agent Fournier a eu raison de nous mettre en équipe tous les deux, nous sommes très efficaces dans notre travail. J’ai déjà été promue plusieurs fois alors que je n’ai pas énormément d’ancienneté, ni même d'expérience. Je sais qu’elle est contente de mon travail, bien que je ne l’aie pas choisi, et qu'elle me fait confiance.

C’est différent pour Eli, il a choisi cette voie, il savait dès le début dans quoi il s’embarquait. Il a décidé de faire ce métier pour s’éloigner de sa famille, car ses parents lui ont rendu la vie difficile voir invivable. Il a fini par venir s’installer ici et couper les ponts avec eux. C’est un peu triste, mais c’est son choix.

Quoi qu’il en soit, j’essaie de ne penser qu’à l’instant présent, sans trop me soucier de l’avenir. Je commence à apprécier ma vie, dans les grandes lignes du moins, alors autant en profiter.

Demain est un autre jour…
Une mission sérieuse nous attend, il faut qu’on dorme quand même un peu.

Evidemment, lors de nos missions, nous sommes obligés de changer légèrement d’apparence, afin que l’on ne soit pas reconnu, afin que personne ne nous lie à ce que l’on fait.

Aujourd’hui, notre mission est de remplacer un collier au musée de Windenburg. Oui, notre métier va nous faire beaucoup voyager. Si seulement je pouvais avoir une mission à Brindleton Bay… Mais même si c’était le cas, je serais en couverture, il me serait impossible de rendre visite à ma mère… Elle me manque beaucoup et j’espère pouvoir la revoir très vite, je n’aime pas la savoir seule dans sa maison. Mais pas question de penser à ça maintenant, je dois me concentrer sur ma mission.

Nous sommes donc entrés dans le musée, je dois me diriger vers la pièce secrète dans laquelle se trouve le collier, et faire l’échange. Mais la pièce étant protégée par tout un tas de systèmes, il faut qu’Eli accède au système de vidéosurveillance pour tout désactiver.

L’entrée de la pièce n’est pas difficile à trouver, nous avons vérifié les plans avant de venir, bien évidemment. Maintenant, nous n’avons que peu de temps. Eli doit déconnecter tous les systèmes, mais je n’aurais que quelques minutes avant que le personnel de sécurité du musée ne s’aperçoive qu’il y a un problème.

 

Mon portable sécurisé vibre, un sms d’Eli : « Caméra désactivée, système d’alarme piraté, le code est 8572 ».

Ok, un jeu d’enfant.

La porte s’ouvre, je reste à l’entrée, les caméras intérieures sont également désactivées, mais il reste le dispositif de détection de mouvement à désactiver. Je ne bouge pas, j’attends le nouveau SMS d’Eli qui ne tarde pas à arriver. « Dispositif désactivé, t’as 2min30 pour faire l’échange. »

 

Ca devrait suffire. Je fixe le collier quelques secondes, je jette un regard rapide derrière moi, et je fais l’échange. Trop facile.

 

 

J’envoie un SMS à Eli : « C’est fait. Rejoins-moi dans la salle des tableaux. »
Il réactive tous les systèmes, personne ne semble s’apercevoir qu’il y a eu une déconnexion.

 

Puis je le retrouve à l’endroit prévu.
- Tu as été parfaite.
- Grâce à toi, qui a été parfait.

On reste ici quelques minutes puis on ressort, tranquillement, le collier en poche.

On se retrouve chez moi cette fois-ci, après avoir déposé le butin à l’agence et après avoir été félicités par l’agent Fournier. L’adrénaline monte rapidement dans ce genre de mission, c’est important de décompresser et on a, je pense, trouvé la meilleure des façons de le faire.

Mais tout ne pouvait pas durer. Les semaines passent, et je ressens quelque chose de bizarre, je ne suis pas comme d’habitude. Oh, non… Dans un autre contexte, j’aurais été ravie, mais là…

J’essaie de me donner une contenance devant Eli…
- Tu sais quoi ? Tu vas rire, mais… ahah… je suis enceinte !
- C’est pas vrai ? Je… il est de moi ?

- Eli, bien sûr qu’il est de toi, tu crois vraiment que je vois quelqu’un d’autre ?
- Je… j’en sais rien, on en a jamais vraiment parlé et… mais je vais être papa ! C’est génial !

- Ce n’est pas génial, Eli… On ne peut pas le garder… Avec nos vies, notre travail, c’est impossible…
- Comment ça, c’est impossible ? Depuis quand on nous interdit d’être parent ?
- Je… j’en sais rien… est-ce qu’on a déjà le droit d’être ensemble ?
- Bien sûr que oui ! Ce n’est pas la prison, Sarah !
- D’accord, mais… on part tout le temps en mission, et dans le futur, elles seront plus longues, comment on va faire ?

- On en parlera avec l’agent Fournier, on s’adaptera. Tout va bien se passer, Sarah, fais moi confiance. Tu veux qu’on aille marcher un peu, prendre l’air ? Ca te fera du bien.
- Oui, tu as raison…

Je suis perdue. J’aurais tellement aimé fonder une famille, mais dans cette vie-là… En ai-je vraiment le droit comme semble le penser Eli ?

On marche un peu, puis tout à coup, il s’arrête et se tourne vers moi. Il semble sortir quelque chose de sa poche, et…
- Sarah, on ne se connait pas depuis longtemps, mais pour moi c’est une évidence, depuis le premier jour. Je t’aime, et savoir que nous allons fonder une famille me fait réaliser quelque chose : je ne veux pas, non je ne peux pas me passer de toi. Sarah, est-ce que tu veux devenir ma femme ?

 

- Eli, oh, Eli… Je… Non Eli, on ne peut pas !
- Que… quoi ?

 

 

- Tu ne peux pas vouloir m’épouser sur un coup de tête parce que je t’annonce que j’attends un enfant de toi ! Je ne te demande rien, Eli, tu n’es obligé à rien !
- Je ne veux pas t’épouser à cause de cet enfant, je veux t’épouser parce que je t’aime, et cet enfant rend le tout encore plus concret entre nous. Oui tout va très vite, mais pourquoi attendre quand on sait ? C’est une évidence, tu ne crois pas ?
- J’en sais rien ! J’ai pas choisi cette vie-là, moi ! Je sais même pas si j’ai le droit d’avoir un conjoint, d’avoir des enfants ! Que va-t-il se passer si j’annonce ça à l’agent Fournier ? Elle va être folle de rage, voilà tout ! Elle va me menacer, elle va, elle va… j’en sais rien !

- Mais Sarah, l’agent Fournier n’est pas comme ça, elle ne te menacera pas, elle ne nous a rien interdit !
- Eli ! Elle est venue me recruter de force ! Qu’est-ce qu’il va se passer si je ne suis pas ses ordres ?
- Elle t’a ordonné de passer ta vie seule, sans jamais avoir d’enfants ?
- Je… Non… Mais…
- Alors nous lui en parlerons, elle saura se montrer compréhensive, j’en suis persuadé. On s’adaptera, et elle aussi, d’accord ?

- Je... je suis désolée... je suis fatiguée, j'en peux plus...
- C’est rien Sarah, on va dire que ce sont les hormones qui travaillent. On oublie tout ça, on rentre, je vais te faire couler un bon bain, et on ira se coucher.
- M… Merci Eli…

Mais nous n’aurons pas besoin d’en parler à l’agent Fournier... Nous avions décidé que nous attendrions quelques semaines avant de lui annoncer, histoire d’appréhender la nouvelle de la meilleure des façons. Ca faisait beaucoup de choses à encaisser pour notre patronne, que ce soit notre relation, et ma grossesse, il fallait y aller en douceur.

Et puis hier soir, j’ai appris que maman a perdu Bonnie, sa dernière chienne. Je l’ai sentie au plus mal au téléphone. Je me sens si égoïste, j’ai l’impression de la laisser tomber et la savoir seule, vraiment seule, désormais, me fend le cœur. Et je ne peux pas être auprès d'elle...
Et ce matin, je ne sais pas si c’est tout le stress accumulé, mais je découvre avec effroi ce que je suis en train de vivre.

J’arrive, le cœur lourd, au salon, où Eli est déjà levé.

Je m’assieds auprès de lui, il me regarde avec des yeux qui semblent aimants, et me lance son plus beau sourire. Mais je ne parviens pas à le lui rendre.

- Qu’est-ce qu’il se passe, Sarah ?
- T’as plus à chercher à vouloir m’épouser, on n’a plus besoin d’aller parler à l’agent Fournier, tu peux partir si tu veux, plus rien ne te retient.
- Mais enfin, Sarah, qu’est-ce que tu racontes ?
- Le bébé… il n’y a plus de bébé.
- Quoi ? Tu es sûre ?
- Certaine...
- Oh Sarah… Je suis vraiment sincèrement désolé… Je ne bougerais pas d’ici, tu m’entends ? Je resterais à tes côtés, quoi qu’il arrive. Je t’aime, Sarah ! Et je suis triste pour ce bébé, moi aussi, mais on va surmonter ça ensemble.

- C’est dur, Eli, tous ces sentiments en moi, cette sensation, ce stress immense, je crois que finalement c’est une bonne chose qu’il ne soit plus là.
- Ne dis pas ça, Sarah… Ecoute, c’est un peu trop tôt peut-être, mais si tu le souhaites, dès que tu seras prête, on en parlera à l’agent Fournier. Tu as besoin de savoir, de te projeter, je ne veux pas que tu te prives de ta vie pour ton travail. Rien ne nous est interdit, mais si tu dois l’entendre de sa bouche à elle, alors nous irons lui parler.

- D’accord… Dis, Eli…
- Oui ?
- Tu veux bien venir t’installer ici, avec moi ?

- Je prépare mes valises. Je resterai auprès de toi, toujours. Je t’aime tellement, Sarah !
- Je... je t'aime aussi, Eli...